La pensée d’une absence provoquée est trompeuse, car elle ne fait que rappeler la présence de la personne que l’on cherche à éviter. Théa l’avait bien remarqué alors que depuis deux semaines, elle cherchait à tout prix à s’occuper l’esprit pour ne pas repenser à cette violente dispute qui avait éclaté entre Matthew et elle. La jeune femme essayait de se convaincre de ne pas prendre les choses à cœur, après tout ne s’étaient-ils pas dits sans attaches ? Elle avait eu du mal les premiers jours, mais avait finalement réussi à trouver la bonne parade. Elle s’investissait dans son travail et réalisait à une vitesse grand V les reportages qu’on lui demandait de tourner pour les petites chaînes locales. Son inspiration volait littéralement, mais sa création continuait à se déplacer à pied. Voilà tout le drame qui promettait de la caractériser tout au long de sa carrière. Faute de moyens pour le moment, elle ne pouvait pas faire tout ce qu’elle voulait ni concrétiser toutes les idées qui lui passaient par la tête. Caël avait bien tenté de l’aider une nouvelle fois en essayant de lui dénicher un travail par-ci par-là (l’influence d’être maire aide toujours), mais Théa avait refusé cette faveur. Son cousin l’avait déjà bien soutenue jusqu’à présent, mais elle préférait se débrouiller par elle-même. Quelques jours plus tôt cependant, Billie lui avait proposé un nouveau projet sur lequel se pencher : réaliser des vidéos sur l’état actuel du château qu’elle comptait rénover pour en suivre l’évolution avant-après. Théa était plutôt emballée par cette idée ; cet endroit était un décor naturel à lui seul et donnait un coup de fouet à l’inspiration de la jeune femme. Billie avait dégoté un véritable petit bijou à l’abandon dans Fairhope. Si en Europe les châteaux étaient légion, il n’en était pas de même aux États-Unis. L’histoire occidentale du pays remontait à bien moins longtemps et était totalement différente à ceux des bâtisseurs d’un tel type d’architecture. C’était donc une curiosité rare à admirer dans le coin dont Théa profitait pour en faire le théâtre de son travail aujourd’hui. Caméra entre les mains, œil aux aguets pour tirer les meilleurs plans possibles des jeux d’ombres et de lumières du château, la jolie blonde continuait ses prises et n’entendit pas immédiatement le bruit à proximité. Elle ne se retourna que lorsque le bruit d’une vieille planche qui craquait derrière elle se répéta. La jeune femme lança un regard surpris vers Matthew ; elle ne s’attendait pas à le voir ici et ne savait pas vraiment comment elle devait prendre cette venue. Était-il là en ami ou en ennemi ? Une flamme mal éteinte est facile à rallumer, et leur dernière rencontre avait plutôt été marquée d’étincelles. Il brisa le silence et lui affirma qu’elle n’hallucinait pas avant d’ajouter qu’il était ici parce qu’il voulait la voir et qu’il doutait qu’elle se souvienne de son existence depuis ces deux semaines. Difficile de l’oublier. Mais Théa avait suffisamment d’autres choses à faire pour ne pas se focaliser sur lui. « Tout ne tourne pas autour de toi, comme tu le vois, je travaille. » Coupa-t-elle abruptement, avant d’esquisser un sourire qui se voulait charmant. Elle savait très bien ce qu’elle ne devait pas dire. Elle se rappela alors des mots qu’il avait prononcés. Il voulait la voir ? La jeune femme coupa sa caméra, toute ouïe. Il lui avait bien fait comprendre deux semaines plutôt qu’il ne voulait plus rien avoir avec elle. Il s’était énervé sur elle lorsqu’elle lui avait demandé de l’aider dans une situation délicate. Et maintenant ? Il se rappelait soudainement son existence ? Ah oui, parce qu’il s’inquiétait, dans son propre intérêt encore. Il n’était là que pour rassurer ses arrières. Il n’avait pas à douter d’elle. Théa comptait bien le lui faire comprendre pour qu’il lui fiche la paix. Matthew l’avait faite passer pour ce qu’elle n’était pas, et ça, elle n’arrivait pas à l’accepter, pas après tous ces mois. « Pourquoi es-tu là ? » Lui demanda-t-elle alors la vraie raison de sa présence.

Théa n’en revenait pas. Matthew se pointait pour la voir alors qu’elle était en plein travail pour lui faire de nouveaux reproches. Il ne manquait pas de culot. Elle était sortie de sa vie deux semaines plutôt, parce qu’elle avait cru comprendre que c’était ce qu’il attendait, mais apparemment, cette initiative ne suffisait pas au jeune banquier qui ne supportait sans doute pas ne plus avoir des nouvelles de sa part. Il voulait encore avoir le dernier mot ! C’est sûr qu’après quelques tensions, les femmes devaient lui courir après pour s’excuser et reprendre à zéro en temps normal, mais Théa n’était pas une lèche bottes prête à tout pour continuer cette relation, ce qui devait le déstabiliser sans aucun doute. Sa fierté en avait pris un sérieux coup et elle s’était sentie limite insultée dans cette histoire, elle ne voyait pas en quoi elle avait tort. Hors de question pour elle de faire semblant et de jouer les hypocrites. Elle n’allait pas lui donner des nouvelles alors qu’elle était en colère contre lui. La jolie blonde avait eu raison d’ailleurs, il n’était venu la voir que pour défendre ses intérêts encore une fois. Elle esquissa un petit soupir, cette conversation commençait à peine qu’elle la lassait déjà. Théa devinait déjà qu’elle dégénèrerait très vite. Elle qui avait crû apprendre à connaître Matthew ces derniers-mois s’était complètement fourvoyée et elle était bien contente d’avoir gardé les sentiments compliqués qui l’avaient traversée pour elle, ça aurait été une grossière erreur. « C’est normal que tu n’aies plus eu de nouvelles après ce que tu m’as dit, tu ne crois pas ? » Rétorqua-t-elle à sa première phrase, sachant très bien qu’il n’en resterait sans doute pas là. Il était venu pour obtenir d’elle des explications. Mais des explications sur quoi donc ? Sur le fait qu’elle savait ? Elle avait déjà été plutôt claire à ce sujet non ? Têtu comme il était, il ne partirait sans doute pas avant de l’avoir poussée à bout, parce que c’était exactement ce qui allait se passer si Matthew insistait. Comme elle s’y attendait, il aborda de nouveau le sujet de leur dispute et lui reprocha d’avoir totalement disparu de sa vie sans s’excuser ou lui demander d’oublier cette histoire. Il rigolait là ou quoi ? Parce que si c’était une blague, c’était loin d’être drôle. Le sourire de Théa s’effaça complètement. S’il y en avait bien un qui devait demander d’oublier, ce n’était certainement pas à elle de le faire. « M’excuser ? M’excuser ? » S’exclama-t-elle à plusieurs reprises, limite choquée. « Tu me prends pour ce que je ne suis pas et je devrais m’excuser ? C’est comme ça que tu envoies balader tous ceux qui ont eu la mauvaise idée de te demander de l’aide ? » Répondit-elle d’une voix légèrement sèche. C’était l’hôpital qui se foutait de la charité. Théa aurait dû relativiser et garder son calme, mais elle n’y arrivait pas. Sans qu’elle ne comprenne pourquoi, il parvenait à la mettre hors d’elle en un rien de temps. Elle contenait la colère qui avait envie de sortir d’elle, mais cette accalmie était fragile. Le tempérament de feu de la jeune femme couvait dangereusement, comme une bombe à retardement. Cette discussion ne mènerait à rien. « Comment oses-tu venir me demander une chose pareille ? » Réitéra-t-elle sa question, plus détachée.

Théa n’en revenait pas. D’abord, Matthew lui reprochait de ne pas avoir vécu la même scène que lui deux semaines plus tôt. Or la jeune femme s’en souvenait parfaitement. Vu la réaction démesurée du jeune banquier, elle avait préféré prendre ses distances et ne plus donner signe de vie. A quoi bon rajouter de l’huile sur le feu alors qu’il continuait de camper sur ses positions ? Selon lui, elle était la seule responsable de cette violente dispute qui avait eu lieu. Si Théa savait qu’elle pouvait se montrer maladroite et acceptait souvent de reconnaître ses torts quand elle s’en rendait compte, la jolie blonde désapprouvait totalement la réaction excessive qu’il avait eue envers elle. Elle ne comprenait pas pourquoi il avait piqué une colère noire quand elle lui avait demandé de l’aide, allant jusqu’à l’accuser de s’être servie de leur relation pour ce faire. Théa n’avait pas supporté qu’il puisse avoir une si basse opinion d’elle. La connaissait-il si peu après autant de mois ? Visiblement. Le jeune homme continua de réclamer des explications, ce à quoi Théa répondit plutôt sur la défensive. Elle n’aimait pas qu’il insiste autant. Pourquoi était-il venu en rajouter une couche aujourd’hui alors que la jeune réalisatrice avait choisi de prendre ses distances pour calmer le jeu ? Il lui reprochait de ne pas lui avoir donné de nouvelles, mais elle avait eu raison de le faire. Ces deux semaines ne lui avaient apparemment pas servi à prendre du recul puisqu’il campait toujours autant sur ses positions. Théa l’écouta retourner la situation à son avantage en disant que c’était elle qui envoyait balader les gens. La jeune femme se retint de pousser un nouveau soupir, il commençait sérieusement à l’énerver. Il ne se souvenait pas de la façon dont il l’avait envoyé paître deux semaines auparavant ? Elle avait tellement bien compris le message que l’idée de revenir vers lui ne lui avait bien sûr jamais traversé l’esprit, d’autant plus qu’elle avait sa fierté aussi. Matthew l’accusa ensuite de se foutre de lui, il lui reprocha de ne pouvoir avoir une discussion normale avec elle et d’avoir tout foutu en l’air dans cette histoire. C’en était trop. Plus que ce qu’elle ne pouvait encaisser. Théa ne comptait pas se taire et le laisser dire tous ces fausses accusations sans réagir. « Me foutre de toi ? On se demande qui retourne la situation là. Je t’ai seulement dit ce que je savais et que c’était la raison pour laquelle je savais que je pouvais me tourner vers toi pour ce sujet délicat. Et toi, tu l’as pris pour quoi ? Pour du chantage là où il n’y en avait pas. Je n’en peux rien si tu as des œillères à la place des oreilles. » Rétorqua-t-elle à son monologue cancanier. Théa parvenait à garder un calme froid. De son point de vue, elle n’avait rien à se reprocher dans cette histoire et Matthew ne valait pas qu’elle se mette en colère pour lui, surtout quand elle voyait la façon dont il la considérait. Finalement, elle s’était totalement trompée sur lui. « Alors quand tu parles de méthodes honteuses, demande toi vraiment qui est monté sur ses grands chevaux un peu trop vite et a mal interprété mes intentions, sinon je ne vois franchement pas pourquoi tu es venu ici pour demander des comptes qui n’en sont pas. C’est une discussion de sourd. » Poursuivit-elle sans sourciller. Elle plongea ses yeux dans les siens et soutint son regard qui en disait assez sur le fait qu’elle ne céderait pas à ces accusations infondées. S’il attendait des excuses autant qu’il les oublie tout de suite ; il se transformerait en pierre avant d’en obtenir, surtout que Théa ne voyait pas en quoi elle avait tort dans cette histoire.

Théa avait l’impression de passer à côté de quelque chose dans cette discussion. Ils campaient tous les deux sur leurs positions et refusaient d’écouter la vision de l’autre. Il fallait bien admettre que la jeune femme n’avait pas envie de reconnaître ses torts tant qu’il ne l’aurait pas fait. Ce n’était pas à elle de mettre sa fierté de côté parce qu’il avait mal compris ses intentions et était parti au quart de tour en la considérant comme une personne qu’elle n’était pas du tout. Depuis le temps, Théa aurait pensé qu’il la connaitrait suffisamment pour ne pas croire de telles absurdités, mais elle s’était visiblement bien mis le doigt dans l’œil. Pourquoi donc avait-il fallu qu’elle se tourne vers lui pour lui demander de l’aide ? Elle avait été assez stupide de croire que Matthew s’intéresserait à cette histoire. Non. Il n’avait pas vu plus loin que le bout de son nez et s’était uniquement arrêté sur ses mots prononcés maladroitement. Le jeune banquier lui reprochait des choses, mais il était tout de suite monté sur ses grands chevaux sans chercher à comprendre, ce que Théa n’avait pas apprécié du tout. Et aujourd’hui, après deux semaines de silence, il osait venir exiger des comptes et des excuses sur un ton qui ne plaisait pas à la jeune femme. Il pouvait toujours se mettre le doigt dans l’œil pour en obtenir d’elle après la façon dont il lui avait parlé. Dès le début de la discussion, la jolie blonde avait senti que de nouvelles tensions se déclencheraient, raisons pour lesquelles elle s’était tenue loin de lui depuis tout ce temps. Elle commençait à en avoir assez de cette conversation qui tournait en rond et comptait bien recadrer les choses avant que celle-ci n’aille plus loin. Matthew éleva encore le ton et l’accusa alors d’exercer sur lui non rien de moins que du chantage qu’elle faisait passer pour une demande amicale en profitant de l’affection qu’il éprouvait pour elle. Comment il se faisait tout un monde à partir de rien là ! Théa n’en revenait pas. Il affabulait complètement ! « Tout de suite les grands mots ! Je me suis peut-être mal exprimée, c’est vrai. » Concéda-t-elle tout de même en restant plus calme que lui. « Mais ce n’était pas du chantage, j’étais au courant depuis des mois, si j’avais voulu en faire, tu ne crois pas que je m’y serais prise bien avant … qu’on aille aussi loin ? » Ajouta-t-elle en marquant une pause. Non, visiblement il ne la croyait pas, alors à quoi bon continuer d’essayer de lui expliquer ? Elle n’avait pas envie de passer sa journée à se justifier, elle détestait le faire en temps normal, elle n’allait pas commencer pour lui. Quant à des excuses ? Encore moins vu comment il s’énervait sur elle pour une histoire… de gamins à vrai dire. En fait, le vrai problème pour Théa ne venait pas du fait de reconnaître ses torts ou non, mais de la façon dont Matthew puisse seulement la considérer capable d’une telle chose ainsi que sa réaction complètement démesurée envers elle. Elle ne comprenait pas comment cette idée avait pu se frayer un chemin dans sa tête à ce point. N’avait-il pas réfléchi et pris du recul au cours de ces deux dernières semaines ? C’était comme si le temps ne s’était pas écoulé depuis. Ce qui la vexait aussi, c’était qu’il puisse penser qu’elle s’était servie de leur relation pour tenter d’en arriver là. La prenait-il vraiment pour ce genre de filles qui se servaient de leur corps pour obtenir ce qu’elles voulaient et arriver à leurs fins ? On ne peut plus blessant ! Il expliqua alors qu’il était seulement venu pour tenter de comprendre, mais qu’il était clairement revenu bien trop tôt –clairement oui, pensa-t-elle, puisque rien n’avait évolué dans sa tête, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle n’était pas revenue vers lui. Ensuite, il lui reprocha de nouveau de camper sur ses positions et de se tromper, alors même qu’elle venait de concéder quelques-uns de ses torts. Il cherchait vraiment à la pousser à bout ? Cette fois, Théa poussa un soupir et leva les yeux au ciel. En fait, la jolie blonde estimait qu’elle ne devrait même pas perdre son temps à se mettre en colère, car cela n’en valait visiblement pas la peine. Il était tellement ancré sur ses positions et était tellement convaincu d’avoir raison qu’elle n’avait même plus envie de répondre en vaines protestations ; Théa avait déjà perdu trop de temps pour continuer. Cette discussion lui confirmait simplement qu’elle s’était bien trompée sur lui. « Ne t’en fais pas. La prochaine fois que je songerais ne fût-ce qu’à te demander encore quelque chose, je m’étoufferais avant. Une fois m’a bien suffi ! » Ironisa-t-elle d’une voix complètement détachée. « Maintenant, si tu le permets, j’ai du travail à faire pour ta soeur. » Façon polie de l’envoyer balader. Elle ne voulait plus l’écouter lui parler de la sorte. Cette conversation ne menait absolument à rien. Mais c’était sans compter sur l’obstination du jeune banquier qui ne pouvait pas s’empêcher de toujours vouloir avoir le dernier mot.

Théa brûlait d’une colère sourde à l’intérieur, une colère qui la consumait et qu’elle essayait de recouvrir de cendres pour ne pas la laisser éclater. La jeune femme en avait plus qu’assez d’entendre ces reproches infondées. Ils s’étaient mal compris tous les deux, d’accord. Ils avaient reconnus une part de leurs torts également, mais Matthew continuait dans son entêtement à vouloir tout décharger sur elle et à douter de ses intentions. La jeune réalisatrice n’avait plus envie de s’expliquer dans le vide, à torts et à travers, alors que cette discussion n’était qu’un dialogue de sourd dans lequel chacun campait sur ses positions sans écouter l’autre. Bien sûr, qu’elle avait imaginé les conséquences d’une telle révélation. Jamais au grand jamais, elle n’aurait eu la bêtise d’en répandre l’information dans toute la ville. Pour qui la prenait-il donc ? Si Théa s’était sentie blessée par sa réaction démesurée l’autre jour, elle pouvait encore la comprendre jusqu’à un certain point. Mais aujourd’hui, alors qu’elle essayait de l’apaiser quant à ses intentions qu’il avait mal comprises, elle se sentait carrément insultée dans la façon dont il la tenait en si peu haute estime. Il prétendait être venu pour arranger la situation et essayer d’y voir plus clair, mais la jeune femme avait seulement l’impression qu’ils s’étaient encore plus éloignés depuis le début de cette discussion. « Tu es surtout venu vers moi pour te rassurer et en m’accusant de tous un tas de choses infondées. » Répondit-elle du tac au tac, ne démordant pas sur le fait qu’il n’était pas venu la voir pour arranger les choses, mais pour s’assurer qu’elle ne le mettrait pas dans une situation embarrassante. Il lui expliqua alors qu’elle ne savait pas tout sur lui et qu’elle n’avait pas l’air de bien se rendre compte des conséquences qui pouvaient découler de cette histoire. Une fois encore, la jeune femme ne comprenait pas pourquoi il s’inquiétait. « Pourquoi continues-tu d’avoir peur que tout le monde l’apprenne ? Combien de fois devrais-je répéter que je n’ai nullement l’intention de l’ébruiter ? On se demande lequel des deux se met de fausses idées dans la tête. » Réitéra-t-elle les propos qu’elle avait tenu plus tôt. Théa n’était absolument pas un danger dont il devait se méfier, mais s’il continuait de la pousser à bout, elle pourrait se montrer moins compréhensive sur un autre sujet, un sujet plus personnel entre eux que les informations qu’elle savait sur lui. La jeune réalisatrice se tendit légèrement quand il affirma qu’elle se moquait de tout et qu’il la pensait différente. Lorsqu'un coeur s'écorche, personne n'entend le doux craquement des espoirs déçus, personne ne voit les fêlures qui en couvrent la surface. La jeune femme retint son souffle avant d’esquisser un sourire ironique, elle avait bien trop de fierté pour vivre cette relation comme la plupart des gens. Les paroles de Matthew ne la briseraient pas. Théa plongea son regard dans le sien alors qu’il commençait à s’éloigner, un regard brûlant, en contradiction avec les mots qu’elle prononça. « Oh et puis crois ce que tu veux… J’en ai marre de me justifier. Si c’est ce que tu penses et que tu as une si basse opinion de moi, ce n’est même plus la peine de revenir. » Lâcha-t-elle froidement. Se détacher complètement, une rupture sèche, c’était la meilleure façon de couper totalement tout ce qui la traversait en ce moment. Elle s’était investie plus qu’elle ne croyait dans cette « relation » et n’aurait jamais la laisser aller aussi loin et durer aussi longtemps. Théa était déjà perdue avant qu’il ne vienne la voir et il réussissait encore à mettre tout sens dessus dessous dans sa tête. Cependant, la jeune femme refusait de s’abaisser à s’excuser pour quelque chose d’aussi peu crédible. Il en était hors de question ! Théa ralluma sa caméra pour reprendre son travail, à peu près certaine qu’il partirait pour de bon cette fois. Elle se mordit la lèvre, comme pour se retenir de se retourner. Sa colère nerveuse ne serait sans doute pas capable d’encaisser un nouvel affrontement sans exploser littéralement au passage. Elle réalisa alors l’impact de ses derniers mots ; ne venait-elle pas plus ou moins de mettre un terme à leur drôle de lien ?

Dans sa tête, Théa venait de tirer un trait sur Matthew. Elle ne pouvait pas jouer l’hypocrite et continuer de voir quelqu’un contre qui elle était autant en colère et qui la considérait à ce point à côté de la plaque. La réalisatrice détestait ressentir ce sentiment étrange qui l’avait traversée, mais elle ne céderait pas sur ses positions. Sa fierté mal placée l’empêcher de reconsidérer cette histoire sous un autre angle, alors qu’elle avait déjà admis ses maladresses. Combien de fois voulait-il qu’elle se répète ? La jolie blonde lui demanda donc de quitter les lieux. Elle était suffisamment énervée pour se retenir de dire des choses qu’elle pourrait en plus regretter, quoiqu’à ce stade-là, cela ne ferait plus grande différence. Théa concentra donc de nouveau ses pensées au travail que Billie lui avait donné plus tôt dans la journée. Son amie s’était mise en tête de racheter ce beau chef-d’œuvre architectural qui offrait plusieurs plans de vue exceptionnels pour la jolie blonde. La jeune Harisson avait pour projet de restaurer entièrement l’endroit et Théa était prête à l’y aider. Mais la réalisatrice en herbe avait la tête ailleurs depuis cette discussion houleuse avec le frère de son amie. Elle sortit alors de ses pensées lorsqu’elle entendit des pas revenir derrière elle. La jeune femme se retint de soupirer ; revenait-il encore à la charge ou bien n’avait-il pas compris ce que voulait dire s’en aller ? Théa leva les yeux et l’aperçut de nouveau près de la porte, à plusieurs mètres d’elle. Matthew prit alors la parole et surprise ! Il avait adopté un tout autre ton que celui qu’il avait employé plus tôt pour s’adresser à elle. Il lui expliqua qu’il était perdu par tout ce qui venait de se passer et reconnut qu’il s’était trompé. Pourquoi s’était-il retourné pour lui dire ça alors que deux minutes auparavant il lui criait dessus à tue-tête ? Avait-il peur de perdre ce qu’ils avaient ou … ? Théa n’eut pas vraiment le temps de s’attarder sur la question, concentrée sur la suite. Le jeune homme lui rappela l’importance de garder ce qu’elle savait secret et de n’en parler à personne, avant de marquer une pause pour se rapprocher à quelques pas d’elle. La jeune femme remarqua qu’il semblait garder une distance respectueuse, comme s’il n’osait plus l’approcher. Elle approuva d’un signe de tête les paroles qui suivirent ; en effet, ils ne savaient plus quoi se dire. Matthew cherchait les mots pour se rattraper, mais Théa n’arrivait pas à oublier en un claquement de doigts tout ce qui venait de se passer. Si à la moindre peccadille, il partait autant au quart de tour –et elle aussi-, il ne fallait pas demander comment ils réagiraient pour quelque chose de bien plus sérieux. Il voulait comprendre, encore et toujours. Mais elle ne voyait rien à ajouter. Ils s’étaient simplement mal compris, point. Lui en vouloir autant pour un malentendu était absurde et tant qu’il ne comprenait pas cela, elle ne pourrait pas arranger les choses à sa place. « Exact, je ne veux plus te parler. » Lâcha-t-elle, toujours aussi tranchante. Croyait-il pouvoir revenir comme ça et faire comme s’il ne s’était rien passé ? Elle marqua une pause, hésitant à poursuivre. « Mais je ne veux pas que tu partes. » Ajouta-t-elle un peu plus bas. Aveu qui lui coûtait cher d’avouer, mais après tout, n’avait-il pas fait le premier pas vers elle ? Théa avait beau être complètement têtue, elle n’était pas aussi indifférente qu’elle voulait bien le laisser croire. Elle se rappela ensuite la fin de ses propos. Pourquoi ne lui avait-elle pas dit plus tôt ? Parce qu’elle avait justement craint sa réaction… celle où il penserait qu’elle se servait de leur relation pour arriver à ses fins, ce qui était exactement arrivé comme elle l’avait pensé. « Si je ne t’ai pas dit plus tôt ce que je savais, c’est parce que je redoutais ta réaction, et on dirait que j’avais raison. » Confia-t-elle en haussant les épaules. L’ambiance électrique avait quelque peu changé ; la tension entre eux commençait à descendre légèrement, mais à la moindre étincelle, Théa savait qu’elle se braquerait de nouveau. Une question, plus que d’autres, trottait encore dans sa tête. Pourquoi donc était-il revenu ? Ce ne pouvait être vraiment que par simple « unique » envie de comprendre.

Théa venait d’admettre d’un côté qu’elle ne voulait plus lui parler à cause de la discussion plutôt tendue qu’ils avaient eue quelques minutes auparavant, mais elle ne souhaitait pas vraiment qu’il parte. Elle n’était pas en mesure d’expliquer elle-même ces propos contradictoires, à défaut de mieux les comprendre que le regard interrogateur qu’il lui lança. Couper les ponts pour un malentendu semblait trop extrême pour ne pas accepter de mettre une partie de sa fierté de côté. Lui dire que le monde redevenait bisounours, parcouru de poneys roses galopant sur des arc-en-ciel multicolores n’était pas encore à l’ordre du jour, car elle lui en voulait toujours de l’avoir considérée comme une "tepu" se servant de son corps pour faire du chantage. Cette simple idée restait en travers de la gorge de la jeune réalisatrice qui ne comprenait pas comment il avait pu songer une seule seconde à cette pensée. Mais d’un autre côté, elle ne se voyait pas se montrer aussi radicale alors qu’il venait de revenir vers elle pour tenter de vraiment calmer l’atmosphère entre eux cette fois… contrairement à sa première approche, où Théa s’était sentie plus agressée qu’autre chose. Non, elle ne voulait pas qu’il parte, parce que ce serait donner trop de crédit à un conflit qui n’aurait même pas dû naître entre eux. C’était tellement évident qu’il s’agissait là de la raison pour laquelle elle ne lui avait rien dit plus tôt… Comment ne pouvait-il pas le comprendre ? Matthew lui expliqua au contraire qu’elle aurait dû lui en parler dès qu’elle l’avait su, mais la jeune blonde ne voyait vraiment pas en quoi ça aurait changé la donne. Il lui avoua alors quelque chose de plutôt inattendu. Deux minutes plus tôt, il s’inquiétait qu’elle soit au courant de tout, mais désormais, il en était surtout soulagé. Comment pouvait-il passer d’un opposé à un autre aussi vite ? S’était-il enfin rendu compte en deux secondes de temps qu’il n’avait rien à craindre d’elle ? Et ensuite, il n’aimait pas lui mentir ? Elle n’était pas naïve au point de prendre soudainement tout pour argent comptant et de le croire sur parole ; elle avait la nette impression qu’elle était bien loin de tout savoir. Matthew fit de nouveau un pas vers elle, réduisant ainsi un peu plus la distance qui les séparait. Théa ne bougeait pas et se tenait toujours près de sa caméra, comme si l’objet si cher à son travail lui rappelait qu’elle était bel et bien là, dans une pièce au fond du château, à avoir une discussion qui virait étrange avec le jeune Harisson… Si elle n’aimait déjà pas la conversation précédente, elle voulait encore moins devoir se justifier aux nouvelles questions qu’elle sentait se bousculer à ses lèvres. Encore une bonne façon de la braquer ! Il lui demanda ce qu’elle attendait de lui exactement, parce qu’il n’avait pas vraiment envie de partir non plus. Qu’est-ce que c’était pour une question ? « Qui te dit que j’attends quoi que ce soit ? » Répondit-elle en haussant les épaules, légèrement sur la défensive à nouveau. Elle ne se reconnaissait pas, à prendre limite ainsi la mouche à chacune de ses phrases. La jeune femme avait l’impression de sentir un malaise, et elle détestait ce sentiment embarrassant où elle devinait qu’elle n’avait justement pas la réponse qu’il fallait au bon moment. « Je ne vois pas ce que tu veux que je dise de plus. » Souffla-t-elle en arquant un sourcil, sachant très exactement où il voulait en venir, mais refusant d’en arriver là, pile à une conversation qu’elle voulait encore plus éviter que la première. Une Théa froide et maladroite, le retour ! Décidément, ces deux semaines ne lui avaient pas suffi pour s’y faire. Était-ce une impression ou la distance entre eux s’était-elle encore réduite ? Elle vérifia sa caméra et constata que, non, elle n’avait pas bougé d’un cran.

Théa plongea son regard dans celui de Matthew. Elle ne comprenait plus vraiment comment ils en étaient arrivés là, mais la discussion virait étrangement. Trop étrangement à son goût. Celle-ci se rendait droit dans une direction qu’elle voulait éviter, mais comment le faire dévier de route alors qu’il était déterminé à s’engager sur cette voie… Toujours chercher à comprendre. Si la jeune réalisatrice n’avait rien contre cet esprit de logique en temps normal, y voyant même plutôt un côté pratique lorsqu’elle avait enfin osé lui demandé de l’aide, aujourd’hui elle détestait ce qui le poussait à tout analyser et à vouloir tout comprendre ainsi dans les détails. Théa n’avait pas de réponse précise à ses questions ; elle cherchait à en éviter le sujet justement pour ne pas être obligée d’en arriver à une évidence qui ne la tromperait plus ni elle… ni lui. Oui, elle n’était pas totalement indifférente à ce qu’ils avaient partagé, mais bien loin d’elle l’idée d’en effleurer seulement la possibilité. Pas après ce qui s’était passé entre eux et qui avait tout remis en question. Théa ne s’abaisserait pas dans un terrain aussi instable ; que représentaient-ils l’un pour l’autre dans le fond ? Pas grand-chose. Ils étaient « amis » sans l’être vraiment, vu la nature prioritaire de leur lien sans attaches. La vérité n’était pas difficile à comprendre, la jolie blonde était complètement perdue et à cause de ce sentiment d’embarras, elle se montrait plus cinglante qu’à son habitude, cherchant à le repousser d’une façon ou d’une autre, sans ne plus avoir aucune raison valable cette fois. Elle ne savait pas ce qui était le plus étrange. Le fait qu’ils aient arrêté de se disputer aussi soudainement qu’il avait refusé de partir ou le fait que Matthew persistait à revenir vers elle pour tenter de briser sa carapace –et ce pour des raisons qu’elle ignorait encore - ? Théa baissa les yeux, elle n’avait pas envie de lui donner l’occasion de lire en elle trop facilement. Elle cachait bien derrière l’océan de ses yeux bleus, les vagues confuses qui la saisissaient de l’intérieur. Tout allait beaucoup trop vite d’un coup ! Elle n’arrivait pas à baisser sa garde alors que deux minutes auparavant ils s’engueulaient encore en s’envoyant tous les torts dans la figure ! Matthew attendit quelques secondes, avant de reprendre la parole pour confirmer qu’effectivement, il n’y avait plus vraiment grand-chose à dire, si ce n’était d’agir. Qu’entendait-il par-là ? La jeune femme lui lança un regard perplexe, sans bouger d’un pouce. Cette distance respectueuse ne diminuait pas, pourtant ils avaient déjà connu une proximité bien plus… limitée. Elle releva les yeux lorsqu’il l’extirpa de sa rêverie en lui demandant la solution qui lui semblait la plus adéquate à adopter dans leur situation. Ce n’était pas aussi facile, loin de là. Elle ne pouvait pas donner une réponse ainsi, mais ce qui lui semblait le plus logique était de continuer à prendre ses distances sous peine de ne plus pouvoir faire machine arrière, une situation dans laquelle elle ne voulait absolument pas se retrouver. Elle ne voulait pas revivre la déception qu’elle avait ressentie une quinzaine de jours auparavant. Théa était tellement indépendante qu’elle refusait quiconque d’avoir ne fut-ce que l’once de l’emprise qu’il avait prise involontairement sur elle. Ce n’était même pas une option. Le reconnaître ? Encore moins. Le plus simple serait sans doute de reprendre là où ils s’étaient arrêtés, mais comment faire comme si rien ne s’était passé ? Encore une bonne question à laquelle elle ne savait pas répondre. « Je ne sais pas. » Lui répondit-elle alors honnêtement. « Toi, qu’est-ce-que tu veux ? » Avec un peu de chance, Matthew savait sûrement plus clairement ce que lui voulait. Continuer ou pas cette histoire ? Autant se l’avouer, ce serait compliqué... Une certaine ambiguïté gênante s’était invitée en plein milieu de leur dispute, une invitée surprise difficile à oublier.

Après la dispute qui venait d’éclater entre eux, Théa était perdue dans ses pensées et ne savait plus quoi penser de la situation. Le fait que Matthew revenait ainsi vers elle lui démontrait clairement qu’il souhaitait reprendre où ils en étaient restés, il aurait fallu être aveugle ou terriblement bête pour ne pas le comprendre. Pourtant, elle hésitait à prendre une décision. Elle ne pouvait pas faire comme si rien ne s’était passé quelques minutes auparavant et ne savait plus vraiment où ils en étaient ni même ce qu’ils « étaient ». Théa devinait qu’elle commencerait à s’attacher plus que la frontière qu’ils s’étaient fixés s’ils continuaient, ce qui n’était pas bon signe. D’une part, elle était bien trop accrochée à son indépendance pour s’enfermer dans une histoire sans y réfléchir à deux fois. D’autre part, Matthew n’était certainement pas du genre à se poser non plus. Ce n’était jamais le genre d’hommes qui entretenaient le type de relation qu’ils avaient depuis des mois. Mais s’il n’avait pas tenu un tant soit peu à elle, il ne serait pas revenu et n’aurait pas autant mis sa fierté de côté. Malgré son léger embarras, Théa ne se braqua donc pas lorsqu’il s’approcha de nouveau et lui demanda ce qu’elle voulait. Elle se contenta de lui retourner la question, car même si au fond elle connaissait la réponse, elle avait besoin de l’entendre lui dire. Une femme qui doute à toujours besoin d’être rassurée. Il lui avoua qu’il avait l’impression de vouloir la même chose qu’elle, c’est-à-dire poursuivre leur histoire. Mais comment ? C’est ce que ce demandait Théa. Exactement comme avant ? Sans attaches, sans devoir se rendre des comptes ou justement différemment ? Elle ne comprenait pas si c’était ce qu’il entendait par « continuer ». Probablement comme avant. « Notre relation ? » Répéta-t-elle d’une voix détachée. Rien n’avait changé sinon qu’ils avaient enfin su mettre leur petit différend de côté. Matthew s’était avancé près d’elle et plongea une nouvelle fois son regard dans le sien. Il glissa une main sur la joue de la jeune femme pour dégager ses cheveux et resta ainsi à la regarder. Il attendait sa réponse. Elle le savait bien, mais n’esquissa pas le moindre geste ni dans un sens ni dans un autre, se contentant de le regarder à son tour. Cet instant ne dura pas plus d’une fraction de seconde, car elle sentit soudain une goutte d’eau couler sur sa joue. Pourtant, ses yeux ne pleuraient pas. Elle leva alors la tête et constata qu’il commençait à pleuvoir, enfin elle le devinait vu ce qui filtrait dans la pièce. Le toit du vieux château était fissuré par endroit –en même temps, il était tellement abîmé que c’était pour ça que Billie le rénovait-. Théa s’écarta de Matthew pour éteindre sa caméra et la replier rapidement. Son amie avait disposé des sceaux un peu partout comme récipient pour prendre l’eau et ne pas abîmer davantage l’intérieur du château, car elle n’avait pas encore eu le temps de s’attaquer aux toits des différentes pièces, restaurer un tel monument était un travail de grande envergure. Sauf que pour « filmer » l’endroit de façon plus réaliste, Théa avait retiré tous les sceaux qui dérangeaient ses plans vu que la pluie ne tombait pas quelques minutes auparavant. « Vite ! Aide-moi à tout remettre avant qu’on ne se retrouve inondés ! » Lança-t-elle en souriant. Sauvée par le gong… ou plutôt le temps ! Bon c’était sûr que trois gouttes n’allaient pas faire des inondations d’eau non plus, mais ça allait vite pour détériorer un peu plus encore l’état du château déjà bien entamé, surtout que Billie se donnait du mal pour le retaper. Théa s’éloigna donc dans l’autre pièce pour aller tout replacer tandis que Matthew s’occupait de celle-ci. Mais elle savait qu’elle n’échapperait pas bien longtemps à cette fameuse réponse qu’elle devrait bien lui donner tôt ou tard.

La pluie s’invita pile au bon moment pour que Théa n’ait pas à répondre de quelque manière que ce soit. La jeune femme empoigna sa caméra pour la mettre à l’abri dans un espace où le toit n’était pas fissuré avant d’empoigner des seaux pour les mettre en dessus des fuites en question. Elle pria Matthew de s’occuper de la pièce où ils étaient tandis qu’elle se rendit dans celle d’à côté. On pouvait se dire qu’elle lui avait encore demandé de l’aide, mais en l’occurrence, c’était surtout pour que Billie ne retrouve pas une piscine en plein milieu de son château. Quoique cette idée n’était pas des plus désagréables avec cet été qui s’approchait à grands-pas… Mais les travaux à faire dans cette bâtisse allaient encore durer quelques temps. Théa était toujours à courir avec plusieurs seaux lorsque Matthew pointa le bout de son nez en souriant de la scène. La jeune réalisatrice savait bien que le mauvais temps n’avait fait que repousser l’échéance de leur discussion, mais il lui avait au moins donné le temps de réfléchir un peu plus sur la question. Elle déposa le dernier seau qu’elle tenait dans les mains et se mit à l’abri de la pluie qui lui éclaboussait le visage et dégoulinait dans ses cheveux. Séchage foutu, bonjour ! Elle pourrait bien se les refaire une fois rentrée. Théa regarda si toutes les fuites avaient leurs seaux (dis comme ça, ça faisait limite romantique pour le château). Le jeune Harisson s’approcha alors de nouveau à quelques pas d’elle et constata que le château était plus un taudis qui tenait à peine debout qu’un monument historique de grande valeur. Théa opina tout en rassemblant ses cheveux d’un côté pour ne pas tremper ses vêtements. La jeune femme ne se préoccupait pas tellement de ce à quoi ressemblaient les mirages aujourd’hui ; elle avait confiance dans le projet de Billie qui s’investissait à fond pour changer cet endroit. La jeune réalisatrice songea qu’il serait difficile pour elle de reprendre le travail dans de telles circonstances. La pluie qui venait d’éclater était orageuse et semblait partie pour durer un bon moment. Matthew ajouta alors que mère nature avait choisi de ne pas la laisser finir de parler quelques instants plus tôt. Théa se rendit compte qu’elle devrait clarifier les choses avec lui aujourd’hui même, mais dévia encore une fois pour l’instant. « On dirait oui. » Confirma-t-elle simplement. « Il faut croire que ce n’était pas le bon moment. » Pourquoi n’arrivait-elle plus à affronter ce regard qui cherchait à tout prix à la sonder ? Il la mettait vraiment mal à l’aise, et quand elle ressentait cette impression, elle détestait sentir ainsi perdre ses moyens. Ce n’était pas elle. Elle usa donc de ce petit charme naturel qui la caractérisait tant en esquissant simplement un petit sourire, puis en s’éloignant ensuite de Matthew pour rassembler sa caméra et son matériel et aller les ranger dans une pièce où le toit n’était pas fissuré. En général, elle préférait laisser ses affaires sur place pour ne pas devoir les trimballer tous les jours. Question de pratique. Théa ferma la porte de la pièce à clef avec le double que lui avait donné Billie –oui ce château a des portes qui tiennent et en plus de trop vielles clefs rouillées- avant de rejoindre Matthew plus loin. « Madame nature n’a pas l’air d’avoir envie de me laisser travailler non plus. » Dit-elle en souriant, à comprendre par là qu’elle était libre de ses « obligations » et pouvait donc passer du temps avec lui après cette coupure totale d’une quinzaine de jours. Enfin si c’était ce qu’il voulait.

Disposer des seaux un peu partout pour éviter des inondations dans le château, Théa n’aurait décidément pas pu inventer une meilleure excuse pour ne pas devoir répondre immédiatement à la question de Matthew. Dame Nature l’aidait fameusement sur ce coup-là, sauf que ce que la jeune réalisatrice avait oublié au passage, c’est qu’elle ne pourrait plus travailler le temps qu’il pleuve et qu’elle n’aurait donc plus d’excuse pour s’occuper et se tenir loin du jeune homme. Cette dispute qui était survenue entre eux deux semaines plus tôt lui avait permis de se rendre compte qu’elle l’avait bien plus mal pris qu’elle ne le pensait et qu’elle s’était donc attachée plus qu’elle ne le laissait entendre ces derniers mois. Or ce malentendu lui avait donné un prétexte en or pour s’éloigner de lui, mais elle ne s’était pas imaginé que Matthew viendrait pointer le bout de son nez au château et se montrerait aussi proche d’elle, bien plus qu’il ne l’avait jamais été quand tout allait bien entre eux. Etait-ce la peur de la perdre définitivement qui provoquait cette réaction inhabituellement plus ouverte chez lui ? Théa se demandait plutôt s’il ne s’était pas plutôt habitué à la facilité de cette « relation », c’est vrai. La jeune réalisatrice ne lui avait jamais rien demandé en plusieurs mois de temps, là où bien des filles qui s’engageaient sans condition auraient fini par exiger bien plus après autant de temps. Mais elle s’en était tenue à ce qu’ils avaient fixé au début ; pas de prise de tête, pas d’attachement et encore moins d’engagement. Sauf qu’au final, elle n’avançait pas dans sa vie amoureuse et s’en retrouvait toujours au même point. Bloquée, entre parenthèses. En même temps, elle avait elle-même imposé ces conditions, mais il y avait bien des semaines qu’elle ne voyait plus que lui et cette seule évidence répondait à tous les doutes qui lui traversaient encore la tête. Oui, le temps avait fait son œuvre et elle s’était accrochée, ce qui dans un sens devrait la forcer à admettre à un moment à un autre qu’elle ne pourrait plus simplement continuer ce qu’il avait s’ils ne franchissaient pas un cap sous peine d’encore plus mal le vivre. C’est ce qu’elle n’arrivait pas à dire à Matthew, parce qu’elle ne savait pas ce qu’il entendait justement par « continuer » et qu’elle redoutait vraiment de « perdre » ce qu’ils avaient déjà à cause de cela, alors même qu’elle avait été à deux doigt de le sacrifier quelques minutes plus tôt par simple fierté mal placée. Reprendre où ils en étaient ne la dérangeait pas, mais pour Théa, ce ne serait plus aussi simple de faire comme si ça ne comptait pas pour elle. De toute façon, ils devaient clarifier la situation tôt ou tard. Alors quand elle revint d’avoir rangé son matériel et qu’il lui proposa d’aller faire un tour, elle acquiesça d’un signe de tête pour toute réponse. Il esquissa un sourire et tendit la main comme pour tester sa réaction. Elle plongea son regard dans le sien ayant terriblement envie de faire quelque chose depuis un moment. Au lieu de le repousser, contre toute attente, elle mit sa main dans la sienne et l’attira doucement contre elle. Elle en avait assez de se retenir par pure fierté. Matthew avait mis la sienne de côté depuis longtemps déjà. Théa glissa son autre main derrière sa nuque et le rapprocha avec une douceur en contraste totale avec son attitude défensive quelques minutes auparavant. Il était toujours libre de ses mouvements, mais elle savait qu’il ne reculerait pas. Elle déposa alors ses lèvres sur les siennes et l’embrassa tendrement mêlant son souffle au sien durant de longues secondes. Des retrouvailles qui annonçaient la couleur. « Tu crois qu’on aura vraiment besoin d’en parler ? » Murmura-t-elle ensuite, dans l’espoir d’éviter cette discussion un peu plus longtemps.

Théa avait arrêté de se prendre la tête à réfléchir et venait de suivre son instinct sans plus se poser de questions. La jeune femme ressentit une sensation étrange pendant quelques secondes, ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle embrassait Matthew, mais bien la première où elle se rendait compte que c’était différent d’avant… Enfin pour elle. Elle ne se faisait pas de fausses illusions quant à l’évolution de leur relation, et bien loin d’elle l’idée d’en aborder le sujet. Théa préférait ne rien dire pour le moment. Ce n’était sans doute que le manque de ces quinze derniers jours qui lui embrouillait l’esprit. La jolie blonde se détacha ensuite de lui et maintint son regard dans lequel elle devina une réaction plutôt positive à ce qui venait de se passer. Théa n’avait pas entièrement enterré leur dispute, mais ils avaient besoin d’une accalmie pour pouvoir discuter et s’écouter sans se prendre la tête toutes les deux secondes. Une discussion qu’elle n’était plus si certaine de vouloir avoir alors qu’elle en redoutait les réponses… Soudain, Théa entendit un bruit provenant de son téléphone au même moment où celui du jeune banquier vibra également. La jeune femme n’avait pas envie de regarder qui en était l’émetteur, la coïncidence n’était-elle pas reconnaissable ? Elle pressentait encore un mauvais tour, mais autant vérifier avant de se faire des films inutiles. Avant qu’elle ne puisse le faire, Matthew lui confirma qu’ils n’avaient pas besoin de longs discours après la « réponse » qu’elle venait de donner, mais ils devraient tout de même mettre certaines choses à plat. Théa était on-ne-peut-plus-d’accord, mais elle préférait ne pas avoir cette conversation ici, alors que Billie –ou Dieu sait qui- pouvait débarquer à tout moment. Sans parler des vieux murs et de leurs oreilles. Bon d’accord, elle virait sûrement parano là, mais elle voulait quitter cet endroit. La jeune réalisatrice emboîta donc le pas au jeune homme pour sortir du château, tandis qu’il regardait qui était l’auteur du message qu’il avait reçu. A la simple vue de l’expression sur son visage, Théa comprit qu’il ne s’agissait de rien de bon. Il s’arrêta en haut des escaliers qui menaient vers l’étage inférieur et se tourna vers elle pour lui demander qui lui avait envoyé un message. « Quelqu’un qui peut attendre. » Répondit-elle aussitôt d’une petite moue, peu désireuse de vérifier. Mais devant son regard interrogateur, elle daigna sortir son téléphone et tomba sur un message de celle ou celui qui s’amusait à se mêler des affaires des autres. Un drôle de sentiment la parcourut. « Card your lies. » Confirma-t-elle finalement, en éteignant son portable pour ne plus recevoir de tels messages. « J’imagine qu’elle nous a envoyé la même chose. » Ajouta-t-elle ensuite. Ce n’était pas des menaces en soi, juste une pique destinée à les troubler. Théa préférait s’y montrer indifférente, elle ne voulait pas donner l’occasion à celui ou celle qui se cachait derrière cette mystérieuse identité de se réjouir de la situation. Et puis, ils étaient observés ou quoi ? Comment Card your lies avait-elle su ce qui se passait si vite ? En même temps, leur dispute avait résonné dans tout le château quelques minutes auparavant, n’importe qui aurait pu les entendre. Il fallait vraiment se méfier de tout le monde. Théa n’était d’ailleurs pas mécontente que Matthew soit là pour le coup, avec toutes les choses étranges qui se passaient en ce moment à Fairhope. Avoir perdu sa marraine dans des circonstances terribles quelques mois plus tôt avait rendu la jeune femme plus sur le qui-vive à propos de tout ce qui touchait le sujet des meurtres et de cette folle derrière son site. Elle se posa alors une question étrange. Le trouble du jeune banquier était-il dû au fait d’avoir reçu ce message ou plutôt dû à son contenu ?