Depuis qu’il avait cogné à la porte de mon appartement, ni Aiden, ni moi n’avions ouvert la bouche. Il avait pris ma valise et il avait serré ma main. Nous avions mis mes quelques possessions dans l’automobile et nous l’avions démarré. J’avais l’impression de prendre la fuite avec un étranger. Quelqu’un qui ne savait rien de moi… bien qu’il en sait peut-être plus sur moi que sur tous ces gens qui m’entourent présentement et que je considère comme des amis. Peut-être parce que même sans le savoir il comprenait ce que je ressentais.
 
 
L’automobile avançait à un rythme effréné. Vu de l’extérieur, cela donnait l’impression qu’Aiden et moi fuyions vers l’autre bout de l’univers dans une voiture faite pour être invisible. Un RAV4 noir sur les routes désertes de la côte est américaine. Une plaque au nom du Vermont et des vitres teintés. C’était comme si nous partions de loin. Mais était-ce le cas? La décadence de mon New York natal était déjà loin. Elle était loin depuis que l’on avait simplement franchi le Lincoln Tunnel et que nous étions arrivés dans le New Jersey. J'étais déjà sortie de New York avant. Avec ma moto, j'avais fait le tour des États-Unis l'été de mes vingt-et-un ans. Mais cette fois-ci avait un gout d'adieux. Ce qui était le plus ironique, c’était que de tout ce que je laissais derrière en embarquant dans cette voiture, la chose qui allait le plus me manquer, c’était cette skyline… le fait que New York ne dormait jamais. Je laissais derrière moi, sans aucun regret, une vie entière. J’abandonnais un étrange composite des amis, de famille, de mari… Je plaquais un emploi que j’adorais. Comme une voleuse, je partais sur la pointe des pieds, sans dire au revoir et ce dont je m’ennuyais, c’était le surplus d’énergie que dégageait Times Square, la beauté des Broadway, le bonheur ressenti en traversant le Brooklyn Bridge à pied, ce petit restaurant grec situé dans Hell’s Kitchen… oh! Et comment les pizzas de chez Grimaldi étaient délicieuses. Je m’entendis rompre le silence pour la première fois. Je n’avais pas dit grand-chose. « Est-ce que l’on peut arrêter au belvédère? J’aimerais voir la skyline une dernière fois.  ». J’avais eu espoir pendant un bref instant d’une réponse positive. Mais je l’avais vu dans ses yeux. Un éclair de stress. Une petite étincelle de peur devant une question qui ne devait surtout pas être posé.
 
Doucement, il passa sa main sur la mienne et murmura : «  Ici, ce n’est pas encore sécuritaire. On arrêtera plus dans le coin de Washington D.C. Je dois te protéger et ici… ici je ne peux pas te l’assurer.  » J’hochais la tête. Je comprenais peut-être mieux que lui, l’enjeu. Pourtant pour la première fois, je sentis des larmes me venir. J’appuyais doucement ma tête contre la vitre froide. Mon oxygène faisait une petite buée froide sur la fenêtre. Le paysage se brouilla. Je pleurai en silence jusqu’à ce que l’on traverse la frontière de la Pennsylvanie. On croisa en chemin, cette petite place où, à dix-huit ans, ma première moto avait été croisé et où j’avais rencontré Carl, qui avait été pendant un instant, mon mari. « I’m not right for you. I’m a bad guy. I swear. Walk away. » c’était ce qu’il m’avait dit trois mois avant notre mariage, il y a neuf. Et voilà que je partais.  J’avais le cœur lourd.
 
 
Nous nous arrêtâmes dans un McDonald’s dans les environs de Philadelphie vers les cinq heures du matin. Avant de sortir, Aiden vérifia que son glock 17 était bien caché dans sa ceinture à l’arrière de son pantalon. Nous sortîmes dans l’air tiède en regardant partout autour de nous comme effrayé par cette lumière ou était-ce le bruit de la ville. Nous avions commandé pour emporter et dans l’automobile roulant à toute vitesse, nous avions commencé à parler. De nos métiers respectifs. Du temps qui passe. De l’histoire. De l’énergie qu’il fallait pour repartir à zéro sans nouveau. Nous avions roulé passé l’État de la Virginie Occidental, dépassé l’état de la Virginie, entrevu si rapidement le Tennessee et nous nous étions arrêtées aux petites heures du matin dans l’Alabama. Nous avions trouvé un petit hôtel dans une petite ville au nom de Fairhope. Il devait être pas loin d’une heure du matin quand nous sommes arrivés. Nous sommes entrés et nous avons payés comptant pour une chambre pour deux. Nous avons pris l’escalier, poussé la porte et nous étions tombé dans une sorte de coma dans le lit. Morts de fatigue.
 
 
 
Memorial day était arrivé. J’avais bu pour oublier qu’aujourd’hui aurait été mon neuvième anniversaire de mariage. Aiden aussi avait bu. À trois heures du matin, je m’étais réveillé en sursaut. Un bruit dehors qui ressemblait étrangement à des coups de feu. Pourtant, je savais que ce n’était que mon imaginaire. Mis à part des meurtres vécus lors de l’année 2012, Fairhope était une ville sans histoire dans laquelle on pouvait se fondre. Pourtant… pourtant, mon cœur cessa de battre pendant un instant et j’hurlais prise de panique. Aiden arriva en quatrième vitesse. Il avait habitude de ces petites crises de panique. «  Chut... Chut.... tout va bien. Tu es en sécurité, je suis là.  » Doucement ses grandes mains chaudes vinèrent sécher mes larmes. Nous basculâmes dans le même lit et je me blottis doucement dans ses bras. Lorsque nous nous réveillâmes le lendemain, nous n’avions plus de souvenir de ce qui s’était passé… mais l’étrange impression que quelque chose s’était produit dans ce lit… à cet instant, en ce moment. Mais depuis en fait…. Nous évitons de parler de ce sujet. Il pourrait faire en sorte que l’on se fasse remarquer et très honnêtement, nous préférons resté invisible dans une petite ville plutôt que d’être remarqués. Alors parfois… parfois il est peut-être mieux de jouer un rôle pour se faire oublier.